INKED N°8

Ce week-end de mi-février, le monde du cinéma attendait, avec une certaine fébrilité -à deux semaines de la mythique cérémonie des Oscars- de savoir qui quitterait, trophée sous le bras, la cérémonie de la British Academy of Film and Television Arts. Pour le monde de la musique, c’est dans une ambiance très particulière (le corps sans vie de Whitney Houston venait d’être découvert dans sa chambre d’hôtel) que se déroulait, à Los Angeles, la cérémonie des Grammy Awards. Mais, ce même week-end de mi-février, pour le monde du tatouage, c’est vers l’état américain de l’Iowa, que tous les regards se tournaient. Parce que s’y tenait, au sein du Mid America Center de Council Bluffs, la première convention organisée par le grand Shane O’ Neill: Best of the Midwest.

Mais aussi et surtout parce que -événement dans l’événement- dans le cadre de cette convention était décerné le tout premier Chaudesaigues Award, récompense d’un concours créé par des tatoueurs pour des tatoueurs (Un award dont on parlait largement dans le n° 7 de Inked…). Un trophée, le Cœur des Marguerites (lire l’encadré) décerné à un « professionnel jugé puis élu par des professionnels ». Le premier aboutissement d’un projet que son concepteur, Stéphane Chaudesaigues, veut « au service de la communauté mondiale des tatoueurs».

Avec pas loin de 200 artistes tatoueurs, il y avait du monde à Council Bluffs.  Et du beau monde : Nate Beavers, Gunnar, Chris Blison, le casting d’Ink Master (nouvelle émission télé U.S. dont on parlait également largement dans le n°7 de Inked), et bien sûr, Shane O’Neill et Nikko Hurtado. Deux des quatre membres (avec Boris Zalaszam et Andréa Afferni) du jury de ce premier Chaudesaigues Award. Deux jurés que l’on a retrouvé, les yeux brillants d’émotion, aux côtés de Stéphane Chaudesaigues, de Bob Tyrrell et de Saint Marq (membres d’honneur du Chaudesaigues Award), sur le podium lors de la remise du prix, hostée par Chris Longo (a.k.a. the mayor of tattooville !). Un Chaudesaigues Award remis, pour cette première édition, à un tatoueur américain, James Kern (voir l’encadré). Nombreux d’ailleurs ont été les tatoueurs américains à participer à ce premier contest. Nombreux également ont été les tatoueurs français. Ce qui ne relève pas vraiment du hasard, la carrière de Stéphane Chaudesaigues, l’instigateur de cet award, se jouant des deux côtés de l’Atlantique. Mais sur la soixantaine de tatoueurs à avoir tenté leur chance, le monde entier -Asie exceptée…- avait répondu présent : Mexique, Italie, Finlande, Angleterre, Hongrie en particulier et Europe de l’Est en général… Un des points forts de cet award : il suffit à un tatoueur, où qu’il soit, d’un appareil photo et d’une connexion internet pour pouvoir concourir et, qui sait, passer subitement de l’ombre à la lumière, pousser comme l’exprime joliment Stéphane Chaudesaigues, « le bouton de off sur on ». Heureuse surprise : les filles représentaient presque un quart des participants. Ce dont se félicite un Stéphane Chaudesaigues qui estime que « nos consoeurs n’ont pas assez d’espace ;  certaines - de vraies avant-gardistes pourtant- ne sont pas suffisamment mise en avant par un milieu encore très masculin ».  L’âge ? Entre 22 et 45 ans. Les styles ? Pas mal de réalisme -personnalité du créateur de l’award et du jury oblige- même si comme le rappelle Stéphane Chaudesaigues, ce concours se veut ouvert à tous, donc à tous les styles. Pas mal également de dot work ou art du point, mais pas une trace de tatouages ethniques.

Autre heureuse surprise : du très, très haut niveau, y compris chez les plus jeunes des candidats, tatoueurs de fraîche date pour certains. Il faut écrire qu’avec un jury qui représentait une certaine élite du tatouage  la barre était placée, d’emblée, très haut. Un très haut niveau qui, toutefois, a quelque peu compliqué la tache des quatre membres du jury. Avec, pourtant, un résultat sans appel : James Kern, vainqueur de ce premier Chaudesaigues Award, a obtenu la note maximum de 20 dans les quatre catégories sur lesquelles devaient se prononcer les jurés. Technique, créativité, esthétique, choix des thèmes…  James Kern les a séduit sur tous les tableaux.  Et l’unanimité s’est, très vite,  faite sur son travail (rappelons au passage que la sélection s’est faite de manière rigoureusement anonyme). Avec cette note maximum, le jury a clairement voulu marquer le coup : c’était lui. Et pas un autre.

Un James Kern, qui le Coeur des Marguerites en main,  a tenu à remercier « sa maman », la première à avoir vraiment cru en lui quand il s’est lancé dans le tatouage ». Un James Kern qui est attendu à Paris où, outre, la visite des musées de la capitale française offerte avec son prix, il envisage – comme il l’avait fait il y a 3 ans- de s’offrir une balade dans les catacombes, de passer saluer quelques tatoueurs français comme Tin-tin.

Stéphane Chaudesaigues lui, a déjà la tête à la prochaine édition du concours. Nouveau jury, nouvelle remise du trophée dans une convention (ce devrait être à Naples)… On en reparlera. Forcément.

 

 

 

« Interesting... ». « Intéressant… » Le douanier américain ne lâche que ce mot. Alors qu’il vient de très, très longuement ausculter (après l’avoir passé plusieurs fois au scanner à rayons X…) le Cœur des Marguerites, trophée qui, une poignée d’heures plus tard, doit être remis à James Kern, premier lauréat du Chaudesaigues Award. Ce Cœur des Marguerites qui voyageait dans les bagages de Stéphane Chaudesaigues mérite pourtant largement mieux que ce laconique commentaire. Le Coeur des Marguerites (ou Daisies Heart pour les douaniers américains !) a été conçu par Stéphane dans la veine psychoréaliste également explorée par son frère Patrick Chaudesaigues, peintre, sculpteur, fabriquant de machines et tatoueur lui aussi, à Brive-la-Gaillarde. Ce « puissant organe rescapé d'un âge farouche » pour emprunter à Patrick Chaudesaigues le premier vers du poème signé de sa main qui accompagnait la sculpture, se situe bien au delà d’une simple statuette offerte en récompense à un tatoueur. C’est une véritable œuvre d’art, pièce unique fabriquée dans la grande tradition de la fonderie d’art à la cire perdue. Un peu d’argile mouillé d’eau, un bloc de terre devenu plâtre, puis cire, bronze enfin grâce à la technique et au talent du sculpteur, aujourd’hui auvergnat, Jean Baptiste Martin. Ensuite ce cœur de bronze et d’or est lourd de symbolique. Brisé, sanguinolent, percé d’une flèche ou enrubanné, le cœur est d’abord un classique du tatouage. Les marguerites de ce cœur là, plongent également leurs racines dans l’histoire familiale des Chaudesaigues (où l’on croise une ancêtre du prénom de Marguerite…). Pas un hasard donc s’il a été remis à James Kern par Enora, 8 ans, la plus jeune des filles de Stéphane en présence de son épouse Cécile et de son tatoueur de fils ainé, Steven. Patrick Chaudesaigues étant malheureusement retenu en France par sa participation au Salon de l’Art Fantastique Européen. À James Kern, aujourd’hui, de faire sien ce Cœur des Marguerites. 

 

« And the winner is… James Kern ». Pour d’évidentes raisons de logistique (il fallait garantir sa présence à la convention Best of the Midwest, préparer son stand, réserver sa chambre…), le gagnant de ce premier Chaudesaigues Award avait été prévenu confidentiellement de sa consécration, quelques semaines auparavant. Sans trop y croire… James Kern a envoyé plusieurs textos à Cécile Chaudesaigues pour obtenir confirmation de cette victoire, croyant à une blague… Né à Saint-Louis dans le Missouri (comme Joséphine Baker, Chuck Berry ou Vincent Price !), le vainqueur de ce premier Chaudesaigues Award a, très tôt, manifesté une authentique passion pour le dessin, s’orientant, dès le lycée, vers des études artistiques. Il suit ensuite les cours du Center for Creative Studies de Detroit dans le Michigan, de l’université de Columbia dans le Missouri avant, enfin, de décrocher un diplôme des Beaux Arts à l’Art Institute de Chicago, Illinois en 1995. Soit, une année après s’être vraiment mis au tatouage. En autodidacte complet, piquant des potes, à ses moments perdus. Une petite annonce décide de sa première expérience pro en 1996, au Milios Hair & Tattoo Studio de Chicago. Chez Milios, James apprend. Enormément. Normal, aux côtés de tatoueurs comme Guy Aitchison, Jason Leisge, Kim Saigh, Ben Wahhh ou bien encore Jon Clue. Avec son frère jumeau, Tim, tatoueur lui aussi, James quitte le Milios Studio mais pas Chicago puisqu’on le retrouve chez No Hope No Fear avec David Kotker. Une enseigne que reprend à son compte James Kern en 2007 quand il installe son propre salon à Portland dans l’Oregon. Un salon et un tatoueur, premier gagnant du Chaudesaigues Award, sur lesquels Inked reviendra plus largement dans son prochain numéro.

 

Texte François Chauvin.

 

 

Le cœur des marguerites

 

Puissant organe rescapé d'un âge farouche,

Gorgé d'un sanglant rouge d'amour poignant et tourmenté,

Assailli de veines racinées

Puisant dans les profondeurs atomiques de cet hôte majestueux,

De subtiles substances.

 

Secret de chair et de sang,

Énorme, clos et pudique,

Palpitant dans un rythme effroyablement profond...

Préservant des regards grossiers,

L'alchimie symbiotique qui préside à l'enfantement des pures marguerites.

 

Fleurs délicates parfumées d'or et de lumière,

S'agitant imperceptiblement,

Minuscules soleils vierges aux vertus sublimes,

Capables d'éclairer de leurs authentiques rayons,

Les créatures aux ombres les plus sombres...

 

 

 

Patrick Chaudesaigues

Partenaires chaudesaigues-award